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La musique et l'enfant

Il me paraît difficile de trouver un sujet plus vaste que celui que l'on se propose d'aborder ici au cours de cette réunion. Sujet d'un exceptionnel intérêt qui mérite, certes, d'être étudié au niveau d'une rencontre multidisciplinaire.

La musique reste le mode majeur de l'éducation corporelle. Elle constitue le moyen le plus efficace pour préparer le corps à recevoir dans sa plénitude le langage humain, en ce que celui-ci représente de plus élevé au niveau de la conscience.

Elle permet d'intégrer les rythmes, donc le temps ; elle anime le geste et entraîne la verticalité, donc l'espace.

Les supports qu'elle utilise - et le terme n'est pas trop fort - répondent à l'ensemble du système nerveux. Ce dernier en effet est l'organe essentiel de la structure humaine. Par la peau qui en est l'émanation externe et les appareils sensoriels qui dérivent de cette enveloppe, il est en jonction permanente avec l'air environnant. Ainsi, pour que l'Être se prenne à exister, toute la démarche éducative doit consister à ce qu'il ne sente plus de solutions de continuité entre son cortex et l'univers qui l'entoure.

Cet air ambiant qui enveloppe le corps humain est vivant, essentiellement dynamique, toujours tenu en éveil par l'agitation moléculaire des éléments constitutifs. Pourtant, tel le poisson qui ne sait pas qu'il est plongé dans l'eau, l'homme se plaît à ignorer qu'il baigne dans l'air. Pour rompre cette monotonie de la pression périphérique que réalise l'intégration de la vitesse quadratique moyenne du champ ambiant, les vagues de pression de la musique, les larges modulations, représentent le moyen le plus adapté pour y parvenir. Cependant, toutes les musiques n'ont pas un effet identique, comme ci certaines étaient physiologiques et non les autres ; comme si les unes étaient cosmiquement intégrées dans des normes universelles, contrairement à certaines autres. Sans vouloir épiloguer sur la définition même de ce qu'il convient d'appeler musique et expression sonore, j'évoquerai le problème des sons que je nommerai les sons "de charge", à l'opposé des sons dits "de décharge", sans pour autant préjuger de leurs qualités musicales proprement dites.

Ce préambule a pour but de préciser que nous avons affaire à un univers sonore ou sonorisé mis en présence d'un analyseur intégrateur, le système nerveux. Celui-ci, gr‚ce au codage qu'il subit, prend conscience de son état, de son insertion et dans le temps et dans l'espace, et de surcroît peut trouver dans le son un moyen de recharge.

C'est ce qu'il me plairait de développer en quelques lignes, étant bien entendu qu'il s'agit uniquement d'un survol concernant un vaste sujet qui mériterait une démonstration beaucoup plus élaborée.

L'entrée de la musique dans le corps se fait par l'oreille et la peau. L'oreille, ne l'oublions pas, est un morceau de peau différenciée qui, embryologiquement, bénéficie d'une progression ne semblant pas la diriger de prime abord vers la destinée que la condition humaine paraît lui imposer. En effet, l'oreille présente deux fonctions essentielles : l'une qui assure l'équilibre et l'autre qui permet la recharge du cerveau en énergie potentielle. L'une et l'autre de ces deux attributions se trouvent apparemment déviées puisque la première est utilisée pour déterminer la verticalité et la seconde pour y plaquer le langage.

On sait ce que le langage implique comme substrat psychologique, jusqu'à faire croire qu'il est la traduction de l'Etre humain devant s'intégrer dans le corps de l'homme. S'il ne parvient pas à se revêtir de cette enveloppe en sa totalité, des coins obscurs subsisteront dans le champ d'une conscience qui ne pourra s'éclairer en sa totalité réflexive. Tout se passe en somme comme si le corps était ce cristal de réflexion ou de totale réfraction du champ conscient qui le traverse.

L'oreille donc, s'ouvrira ou se fermera en fonction des états d'âme, des souffrances mentales sous-jacentes, des perturbations et des retentissements des états psychologiques.

La musique est là chez le tout jeune enfant, pour lui permettre de pallier ces troubles de l'écoute, en conditionnant l'audition avant que des distorsions de l'entendement ne viennent entraver l'éclosion de cette fonction dynamisante.

Mais qu'est-ce que l'oreille ? Elle n'est pas seulement ce nerf auditif que l'anatomiste a individualisé et dissocié de l'ensemble afin de l'intégrer dans la nomenclature des appareils sensoriels, de telle sorte que pour beaucoup, audition = nerf auditif. Cela est vrai en soi, mais, avant que le son parvienne au nerf auditif, (ou VIIIº paire crânienne), il doit franchir bien des étapes. Nous allons en quelques lignes évoquer ces différentes étapes.

Le son s'assure l'entrée de l'écoute en excitant le pavillon, c'est-à-dire en excitant les Vème et VIIème paires crâniennes qui tiennent sous leur coupe la mâchoire et les muscles de la face, se manifestant par le jeu de la mimique. Il se heurte ensuite à la membrane tympanique qui est innervée par la Xème paire ou Vague ou nerf pneumogastrique. Ce dernier, d'une importance capitale dans la représentation proprioceptive sensori-motrice, est un des piliers centraux de l'utilisation du corps dans l'organisation que l'homme sait mettre en exergue pour assurer son devenir humain, Il innerve en effet le pharynx par sa liaison interne avec le glosso-pharyngien; les muscles du cou dans sa jonction avec le nerf spinal; il assure de plus la sensibilité du larynx et sa motricité ; il tient sous sa coupe le poumon au niveau des bronches ; il règle le système coronaire au niveau du coeur. Enfin, il jugule toutes les fonctions digestives en plongeant dans les viscères abdominaux tandis qu'il se distribue dans tout le tube digestif, depuis l'oesophage jusqu'au sphincter anal.

Grâce au jeu commandé de sa seule antenne extérieure au niveau du tympan, il régit ainsi les réactions rencontrées tout au long du parcours vagal. Il devient alors possible, par la maîtrise du pneumogastrique de libérer le nerf parallèle fonctionnant de manière autonome et appelée le "Sympathique". L'emprise du Vague sur ce dernier est à l'origine des réactions d'angoisse, par les parésies ou paralysies fonctionnelles qu'il déclenche sur tout le trajet du Sympathique.

De plus, le nerf pneumogastrique est un élément primordial du fait de son asymétrie d'innervation, contrairement aux autres éléments neurologiques. Il détermine par la fonction verbalisante la projection externe de cette asymétrie qui prend alors forme de latéralité.

Les deux branches du nerf pneumogastrique, la droite et la gauche sont en effet asymétriques.

Dans les nerfs moteurs du larynx ou "récurrents", cette asymétrie se fait sentir; elle s'accentue dans la cavité abdominale et introduit les notions de droite et de gauche auxquelles la musique est intimement imbriquée. Elle détermine si intensément cette différenciation que les deux oreilles n'auront plus désormais les mêmes fonctions ni les mêmes attributions, traduisant ainsi des activités différentes sur les deux aires corticales, droite et gauche.

Il y aura un circuit droit, court, et un circuit gauche, long, grâce auquel la répartition spatiale des sons deviendra possible, comme le représentent d'ailleurs des instruments de musique, les sons graves (aux grandes longueurs d'ondes) à gauche, et les sons aigus (aux longueurs d'onde plus courtes) à droite. De même, nous retrouverons dans l'expression humaine, une voix droite et une voix gauche. Celle qui utilisera le circuit droit sera modulée, timbrée, vivante, tandis que celle qui empruntera le chemin gauche sera sourde, blanche et sans vie.

Je disais tout à l'heure que l'un des piliers de l'Etre humain était le nerf pneumogastrique. Le second est le nerf auditif pris dans sa totalité et en particulier sur le plan cochléo-vestibulaire. En effet, par la fibre vestibulaire, il assure l'équilibre et, chez l'homme, la verticalité. Toutes les racines antérieures de la moelle bénéficient d'une intervention du nerf auditif si bien que, dans le domaine gestuel, pas une posture n'échappe à son contrôle. On comprend mieux ainsi l'apport du son sur le plan de la motricité et de la plasticité corporelle.

Le nerf cochléaire assure une grande part de la recharge corticale grâce aux stimuli qu'il collecte sur l'organe de Corti en sa partie la plus riche en cellules. Rappelons que la répartition des cellules de Corti sur la membrane basilaire n'est pas réalisée de façon homogène : rares dans la zone des sons graves, les cellules deviennent très nombreuses dans la zone des aigus. C'est pourquoi les sons graves entraînent le corps sans le recharger, tandis que les sons aigus le dynamisent tout en lui assurant de l'énergie.

Le troisième pilier de cette structure humaine est la peau que l'organisation cochléo-vestibulaire tient sous sa férule. Elle est surtout sono-sensible sur la face antérieure du visage, du tronc, du ventre, sur la face interne des bras, des avant-bras, des mains, des jambes.

Le choix des musiques à proposer est à la fois simple et complexe. Les plus adaptées, les plus enrichissantes sont celles qui rechargent l'individu en énergie, comme le peuvent être les sons sacrés qui assurent en même temps la posture et la charge corticale maximum.

Mozart demeure, nous semble-t-il, le grand élu parmi les musiciens capables d'éveiller cette dynamisation. Il stimule nos jeunes codages neuroniques par des sons évoquant la richesse harmonique de l'audition de l'enfant, avant que n'intervienne la saturation par les traces de l'existence. Les oeuvres de ce compositeur ont été choisies par nous parmi tant d'autres du fait des résultats exceptionnels obtenus au niveau de nos travaux sur les "sons filtrés".

Au sein de nos techniques d'éducation audio-vocale sous Oreille électronique, nous utilisons en permanence la musique filtrée à partir des oeuvres de Mozart, Vivaldi, etc. En intervenant ainsi sur les systèmes sympathique et para-sympathique, nous obtenons une régulation des fonctions psycho-sensorielles et psycho-motrices. Un grand nombre d'enfants inadaptés ont pu être traités avec succès. Les troubles temporo-spatiaux, les troubles caractériels, l'instabilité, l'agressivité, l'angoisse disparaissent sous l'effet de ce training sonore.

Mais avant de réaliser cette éducation par la musique nous procédons le plus souvent à la reviviscence de la première relation, celle avant la naissance, en faisant entendre à l'enfant la voix de sa mère comme il l'entendait quand il était foetus. Cette écoute intra-utérine née d'une communication de contenant à contenu, de chair à chair, de champ humain à champ humain est sans doute le moteur premier et essentiel de l'évolution linguistique ultérieure. Il s'avère, à la lumière des résultats obtenus au cours de ces dernières années, qu'il n'y a pas de vrai langage si ce premier support n'est pas constitué.

L'utérus, univers essentiel de l'embryon puis du fœtus est le réceptacle des bruits environnants qui vont refléter toute la vie organique, viscérale et émotive de la mère. Tout traduit soniquement la vie qui se transmet par les couches liquidiennes au foetus en puissance d'humain. Outre les bruits insolites des troubles digestifs, les rythmes, les rythmes cadencés du tic-tac cardiaque, le flux et le reflux respiratoire se manifestent les modulations de la voix de la mère. En retrouvant ainsi son enveloppe première, sa vie primordiale, l'enfant recommence, à partir de cette relation initiale, son cheminement qui doit le conduire vers son devenir humain, au travers d'un langage bien structuré.

Lorsque l'enfant a quitté sa vie utérine, lorsqu'il a revécu sa naissance grâce à un accouchement sonique modifiant l'impédance acoustique et faisant passer l'enfant d'une audition aquatique à une audition aérienne, nous commençons alors la préparation au langage en imprimant les neurones à l'aide de modulations musicales et chants enfantins.

Je ne sais qui a dit d'une façon si pertinente : "L'homme a chanté avec de parler". L'enfant connaît admirablement cette démarche intermédiaire et ressent au plus profond de lui-même cette nécessité de chanter avant d'aborder le langage des grands. Libéré de sa vie utérine, né au monde de la communication, il accepte avec une joie ineffable les chants enfantins, les berceuses, les comptines. C'est pourquoi il me paraît absolument indispensable de réintégrer dans la pédagogie, notamment au niveau du jardin d'enfants, de l'école maternelle et de l'enseignement primaire, un programme intense faisant intervenir la musique et le chant.

L'enfant devrait apprendre à lire, à écrire, à aborder une langue étrangère en chantant. C'est le meilleur moyen, me semble-t-il, de préparer les circuits neuroniques à recevoir le langage et, à travers lui, la connaissance.

Il reste certes beaucoup à faire dans ce domaine et la recherche demeure largement ouverte. Elle doit, à mon avis, s'inspirer des grandes lois de l'univers auquel nous appartenons. Faut-il rappeler que les Anciens et en particulier les Égyptiens étaient si adaptés, si sensibilisés - du moins les initiés - à l'harmonie de l'univers que tous leurs gestes et toutes leurs postures en étaient l'essentielle traduction ?

La musique et le corps humain doivent rester en perpétuelle harmonie afin que le corps de l'homme devienne un parfait instrument de la pensée à travers le langage.

 

La musique et l'enfant, 1er Symposium régional de la musique, Pierrelatte - Mai 1972.

Numérisation du document, par Christophe Besson, 4 Juin 2010