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L'Écoute dans la communication en entreprise

 

Introduire le concept d'écoute dans le vaste domaine que représente la communication dans l'entreprise constitue un réel défi.

Et cependant, l'oreille humaine possède des potentialités qui sont déterminantes pour la "mise en commun" qui s'impose en matière de relations humaines.

Plusieurs éléments qui me paraissent essentiels doivent être évoqués concernant le rôle que joue l'appareil auditif sur le plan de la voix, de la posture, du langage, du comportement, bref de tout ce qui intervient dans la transmission d'un message.

Qu'il soit verbal ou non verbal, celui-ci doit être émis par l'un et reçu par l'autre ou par les autres. C'est une première étape qu'il ne faut pas négliger.

Au schéma classique de la communication mettant en scène un locuteur et un auditeur, il convient d'ajouter une notion d'auto-contrôle permettant à celui qui émet l'information de diriger son discours de telle sorte qu'il soit reçu dans sa plénitude.

Les lois cybernétiques que nous avons éditées dans les années 50 prennent en considération les feed-back indispensables à l'élaboration d'un message porteur de sens. Certains paramètres interviennent dans ce domaine d'auto-écoute.

  1. Les relations intimes qui existent entre l'audition et la phonation (voix, articulation);
  2. Les rapports étroits qui unissent l'oreille au corps (posture, attitude comportementale);
  3. Les liens qui régissent les affinités existant entre la faculté d'écoute et les potentialités corticales (mémorisation, concentration, interprétation sémantique, créativité).

Toutes ces connexions se font bien évidemment par l'intermédiaire du système nerveux dont les divers réseaux ont été mis en évidence par nos soins il y a quelques décennies.

À cette maîtrise du message à transmettre par le locuteur, il y a lieu d'adjoindre celle de la réception dudit message par l'écoutant. Les mêmes paramètres sont à évoquer pour qu'une véritable communication s'instaure entre les deux protagonistes.

Ces diverses considérations éclairent d'un jour nouveau l'ensemble des actions et des réactions propres à la dynamique relationnelle. La clef de voûte du système proposé siège selon nous au niveau de l'écoute. En effet cette "auscultation" fait allusion à l'ouverture sur tout ce qui "est" par l'intermédiaire de l'audition, de la phonation, de la vision (écoute et tu verras), du toucher, de l'attitude corporelle (gestuelle).

C'est en effet tout le corps dans sa capacité de perception et d'émission qui est engagé dans un tel processus de communication. Il convient donc de savoir comment écoutent les différents participants d'une même rencontre, comment ils "s'entendent". Ce dernier terme introduit des notions de compréhension, de partage. Et il n'y a pas de communication sans partage, sans mise en commun de l'information, sans communion.

L'écoute revêt donc un aspect tout à fait particulier de par le rôle essentiel qu'elle joue sur le plan de la voix, du langage, de l'expression corporelle, de la créativité. On ne sera donc pas étonné de la voir rejoindre les mythes d'Hermès, d'Orphée et de Narcisse, thèmes de ce forum.

Hermès, dieu de l'éloquence, donc de l'écoute; Orphée, le plus grand musicien de l'Antiquité, donc engagé essentiellement dans un processus d'écoute et de créativité. Enfin Narcisse qui, cherchant un dialogue avec lui-même, se retrouve face à face avec un être qu'il ne connaissait pas.

Sur le plan pratique, il est évident qu'il faut, au sein d'une entreprise, chercher par tous les moyens à améliorer la communication entre les leaders et les chers de service, entre les équipes, entre les membres du personnel.

Au travers du concept d'écoute, il est possible d'envisager plusieurs procédures :

  1. Évaluation de l'écoute, de la voix, de la gestuelle, du comportement (Test d'Écoute) dans une perspective de recrutement ou de reclassification.
  2. Mise en place d'une stratégie de communication au moyen de l'Oreille électronique destinée à :
  • Recharger le cortex pour augmenter les possibilités de mémorisation, de concentration, de créativité, d'initiative (techniques d'éveil),
  • améliorer la voix et l'élocution des intervenants par dextralisation des circuits de contrôle (techniques audio-vocales),
  • mettre les différents membres d'un groupe sur la même longueur d'ondes afin que la transmission du message ne donne pas lieu à des "malentendus" (dynamique de la communication),
  • stimuler les capacités d'expression orale, tout spécialement au niveau de l'apprentissage des langues vivantes (intégration linguistique),
  • supprimer les blocages psychologiques qui compromettent la qualité de la vie relationnelle,
  • permettre à chaque élément actif de l'entreprise d'utiliser au maximum ces potentialités.

 

Il s'agit donc de réinsérer l'écoute dans sa réalité puisque, selon nous, elle préside à l'élaboration de tous les mécanismes de la communication.

Seuls les cieux d'Italie pouvaient faire resurgir toute la poétique du bassin méditerranéen pour exprimer les multiples axes de la dynamique relationnelle qui lient les hommes entre eux. Ce symposium, dédié à la Communication s'engage donc ici naturellement sur la voie d'une imagerie fantasmatique capable d'évoquer les comportements humains grâce à des projections symboliques plus parlantes que les grandes théories tendant à expliquer les lois des interactions qui caractérisent la société humaine.

Depuis la nuit des temps, l'humanité oscille entre un art de vivre auquel elle aspire et l'existence que lui imposent les composantes de sa nature foncière. Elle est projetée vers un univers paradisiaque, sans parvenir cependant à s'extraire de l'ensemble des faiblesses qui l'éloignent de ce qu'elle aimerait atteindre.

L'idéal lui permet de créer une cosmogonie o˘ les sommets accessibles de la pensée peuplent l'Olympe d'une structure pyramidale dirigeant l'univers. Là, un ordre d'allure pythagoricienne entraîne le Cosmos dans une course céleste. Sur terre, les mêmes lois régissent le monde mais elles se trouvent transgressées par les hommes qui réagissent fortement à propos des règles qui meublent cependant leur mémoire ontologique.

Loin de se culpabiliser, les anciens savaient accorder à leurs dieux tout à la fois les qualités suprêmes et les turpitudes les plus viles. Ainsi, ils se trouvaient dédouanés de leurs agissements, obéissant à leur démon, seul responsable de leur comportement. Déjà, les tempéraments avaient leurs traits spécifiques ouvrant en chacun la possibilité d'exploiter le bien et le mal. Toute la dynamique relationnelle fonctionnait sous ce double aspect.

Messager idéal dieu de la communication, accompagnateur des âmes, maître de l'éloquence, initiateur de la compétition, berger modèle, patron des médecins, vecteur des révélations, Hermès à lui seul totalisait la majeure partie des fonctions qui lui permettaient d'inviter l'homme à se réaliser à l'instar des dieux eux-mêmes dans un milieu social harmonieux. Mais il est vrai que ce même Hermès, fils de Zeus, devait engendrer le dieu des voleurs ! C'est lui également qui était convié à préparer les "coups fourrés" des dieux de l'Olympe. Capable d'apprendre aux hommes le meilleur et le pire, il agissait sur chacun d'eux en fonction de leurs qualités et de leurs travers, de leurs tempéraments en somme.

Le plus attiré par le côté inspiré, poétique, hermétique fut assurément l'énigmatique Orphée. Génial compositeur, enchanteur, séducteur, induisant la fascination par le son de sa lyre, vivant dans son rêve et passant son temps à le perdre, il ne parvenait pas cependant à réaliser ce que le ciel lui offrait au cours de ses intuitions.

Plus dramatique dans son comportement fut Narcisse. Ressemblant aux dieux par la beauté mais incapable dans son attitude de bénéficier des avantages que la fortune lui avait dédiés, il adopta les travers fâcheux de sa nature et se noya dans sa propre image.

Qui ne reconnait là les mécanismes humains restés sans doute identiques depuis que l'homme existe. Les règles de base qui dirigent l'humanité sont ontologiques. Elles sont les mêmes pour tous les êtres qui y participent. Leur application dépend de leur résonance avec les personnages idéalisés que nous venons d'imaginer sur un plan symbolique :

- à l'instar d'Hermès, le dirigeant, le chef de file, l'entraîneur, le parleur se trouvera engagé dans une dynamique de responsabilité unique ou partagée. Il est vrai que son inclination à exploiter ses avantages risque de le conduire sur la pente glissante du délire de pouvoir,

- comme le fit Orphée, le créatif s'orientera vers la recherche, qu'elle soit artistique ou scientifique, mais son génie devra bien le garder de s'enfermer dans l'univers qui lui est offert par la nature et d'oublier de distribuer ce que le ciel lui a révélé.

- tel Narcisse, bâti comme un dieu et incapable de mettre au service des hommes ce que la bonne fortune lui a décerné, l'exécutant retrouvera dans une marche infernale l'obsession de ses structures égotiques.

 

En fait, dans ce trio, toute l'humanité peut être enveloppée. Et tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes si chacun savait faire offrande des dons personnels qui lui sont dévolus. Dans ce cas et seulement dans ce cas, la communication peut être rendue possible.

Pour nous rallier au mode antique que des attaches multiples font chanter en nous, nous dirons, à la manière des anciens que nous prendrons volontiers comme modèles, qu'il existe des écoutes hermétiques, orphiques et narcissiques. Comme on le voit déjà, ces désignations sont porteuses d'une signification qui en dit long. Il convient que nous nous expliquions au cours de ce congrès sur cette approche toute particulière.

Écouter et communiquer sont donc pour nous des mécanismes identiques et il est évident, en fonction de ce que nous venons d'avancer, que la manière de procéder au partage impliqué par l'acte de communiquer dépend de la manière d'entendre en fonction du mode d'écouter.

La maîtrise de soi acquise, la connaissance de l'autre apparaît plus aisée et déjà la vie sociale se cristallise autour de ce nucleus. Lorsqu'un groupe se prend à exister, son activité est la résultante d'une synergie d'actions concomitantes qui ont d'autant plus de chance d'opérer que l'ensemble des membres qui la composent est branché sur la même longueur d'onde. Dès lors, l'intérêt de

L'entreprise devient l'objet du partage et fait montre de l'engagement des participants, sans que pour autant aucun d'entre eux abandonne la personnalité inhérente à son tempérament. La condition essentielle de la bonne marche de tout système réside dans la libre adhésion de chacun quant aux différents plans qui le structurent.

Mais il n'existe pas de groupuscule, aussi petit soit-il, ni de vaste organisation largement hypertrophiée qui puisse prétendre vivre en autarcie. Toute organisation doit prendre en compte un environnement dans lequel une dynamique s'instaure sous l'angle du commerce qui touchera à tous les modes d'échanges, de concurrences, de coopérations, de fusions.

Il est évident que, pour toute entreprise, les intérêts qui motivent son existence devront s'harmoniser avec la politique commerciale du moment. Elle devra opter pour les moyens les plus élaborés afin de favoriser le développement de ses activités sans perturber son rythme interne. Par extension, il est aisé d'envisager la dynamique propre qui pourrait s'adapter à un groupe plus large, voire à l'état lui-même.

Là plus qu'ailleurs, les types d'écoute auxquels nous avons fait allusion antérieurement, c'est-à-dire les types hermétique, orphique ou narcissique, détermineront les territoires d'entente et créeront les barrières de la mésentente. Sur un plan conceptuel qui dépend essentiellement de l'usage fonctionnel du potentiel de chacun, les relations seront établies sur des modes les plus variables et parfois les plus opposés. Les uns seront fondés sur une éthique où la loyauté sera le moteur premier, à ('encontre des autres pour lesquels cette dernière valeur se trouvera savamment occultée. Les coups les plus virulents et les plus pervers seront alors admis.

C'est évidemment l'homme que l'on retrouve à tout moment dans toutes ces circonstances, il sera, suivant les cas et suivant les instants la cible ou le tireur, le perdant ou le gagnant."

 

Alfred A. Tomatis

Forum de la Communication, Milan – 7 et 8 novembre 1991

Numérisation du document, par Christophe Besson, 4 Juin 2010