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La musique et ses effets Neuro-Psycho-Physiologiques

"La musique et ses effets neuro-psycho-physiologiques", tel est le thème retenu par le Comité directeur de l'ISME parmi ceux que j'avais proposé de traiter à l'occasion de ce Congrès. Sous ce titre quelque peu rébarbatif, j'en conviens, il s'agit en fait de développer un propos sur la musique face à la personne humaine, objet même de cette rencontre internationale. Mais chacun parle sa langue. Et, en fonction de ma spécialité d'audio-psycho-phono-logue, je suis volontiers appelé à concevoir l'homme en son humaine dimension comme une immense oreille à l'écoute, à laquelle est appendu un système nerveux. Ce n'est d'ailleurs pas une vue de l'esprit et mon intervention auprès de vous, aujourd'hui, tentera de vous en porter confirmation.

Que la musique ait des effets sur l'organisme humain est l'évidence même; j'irai jusqu'à prétendre que c'est sa raison d'être.

Certes, le temps qui m'est imparti pour m'engager dans ce sujet (dont l'ampleur ne vous a certainement pas échappé) me contraindra à user de maints raccourcis. Mais si je suis ainsi amené à n'évoquer que l'essentiel, mon souci restera cependant de ne pas altérer l'idée réflexive qui pendant une trentaine d'années a soutenu la démarche clinique et sous-tendu la recherche expérimentale. Il est bien évident que le mobile premier de toute cette investigation a résisté de façon constante dans le désir profond de venir en aide à tous ceux qui, sur le plan de la communication, ont vu leur univers perturbé, le but final consistant avant tout à assurer leur insertion dans le groupe humain.

Notre discipline, l'audio-psycho-phonologie, qui est maintenant largement répandue et qui s'imbrique dans diverses branches des sciences humaines, s'est engagée au départ dans certaines recherches concernant les chanteurs puis les musiciens et enfin les professionnels de la voix. Elle s'est introduite ensuite dans de nombreux domaines d'investigations touchant aux processus relationnels de l'être humain avec son environnement, notamment au moyen du langage.

Les résultats acquis, pour la plupart acceptés et devenus classiques, reposent désormais :

  1. Sur la mise en évidence de contre-réactions audio vocales, révélant que toute modification portée sur la fourniture auditive détermine une transformation de l'émission phonique ou instrumentale, et ce suivant certaines lois, cybernétiquement et neurologiquement contrôlées.
  2. Sur la présence effective d'une oreille musicale. Elle se caractérise par une courbe de réponse auditive ascendante d'au moins 6 dB/octave, pouvant atteindre 12 à 18 dB/octave, c'est-à-dire une courbe progressant de 100, 200 ou 300% par octave. On connaît de ce fait le profil de la pente. Cette ascension s'effectue depuis la fréquence 500 Hz jusqu'à 2000 Hz. Au-delà de 2000 Hz, la courbe dessine un dôme allant jusqu'à 4000 et parfois 6000 Hz. Munie de ces caractéristiques, l'oreille est sûrement musicale au sens le plus large du terme. En effet, le sujet qui en est doté aime la musique, la reproduit avec justesse et la restitue avec qualité. Ceci est d'autant plus réel que toute perturbation introduite sur la courbe d'audition, autrement dit sur le contrôle audiovocal, entraîne immédiatement la perte des qualités ci-dessus indiquées. Il est à noter que les caractéristiques qui définissent d'une façon si spécifique l'oreille musicale n'ont de réelles implications que lorsqu'elles siègent sur l'oreille droite, dénommée oreille directrice. Ceci nous amène à introduire le troisième paramètre.
  3. Sur la découverte d'une oreille directrice, la droite, induisant à reconsidérer les connaissances relatives au dialogue inter-hémisphérique et à réviser la notion de centralisation focalisée de l'activité cérébrale sur la couche corticale pour accéder au stade de ce que nous avons dénommé les "intégrateurs neuroniques", vastes champs cortico-centrencé-phalo-cérébello-spinaux sensori-moteurs.
  4. Sur la description des caractéristiques qui tendent à différencier les diverses manières d'entendre et à expliquer de la sorte les barrières neurolinguistiques voire psycho-linguistiques qui peuvent s'instituer entre les différentes ethnies. Chaque idiome s'individualise en effet par le jeu de trois paramètres qui désignent l'oreille ethnique :
    • - l'un déterminant l'ouverture diaphragmatique du spectre d'audition, ce que nous avons dénommé la bande passante,
    • - le second répondant à la pente de la courbe d'enveloppe fréquentielle dans cette bande passante,
    • - le troisième évoquant le temps de latence nécessaire pour que les deux accommodations précédentes ( car il s'agit bien d'accommodations ) se mettent en place.
  5.  Sur la mise en lumière du fait que tout trouble du langage oral ou écrit trouve son origine dans une perturbation de l'écoute. Cette constatation est évidemment la contre-épreuve de l'existence du circuit audio-vocal. Une échelle des correspondances "audition-langage" est à l'heure actuelle suffisamment étayée pour que l'on puisse déterminer, à partir d'une épreuve dite Test d'Écoute (TE), quel peut être le comportement psycholinguistique du sujet examiné, vu sous tous ses aspects : phonique, phonétique, linguistique, psychologique, postural, corporel, instrumental, somatique, etc.
  6. Sur la certitude du redressement des troubles ci-dessus énoncés par l'intervention d'une pédagogie de l'écoute, électroniquement contrôlée et qui, reprenant la filière ontogénétique et phylogénétique de cette fonction, ravive les processus évolutifs qui conduisent à réveil du désir de communiquer. C'est sur ce dernier élément que va s'instaurer la fonction d'écoute qui transformera l'oreille en ce qu'elle est, de même qu'il s'est emparé de la bouche, de la langue, du larynx, de l'appareil respiratoire pour réaliser, dans une étonnante synergie, l'appareil phonatoire et parolier.
  7.  Enfin sur la prodigieuse plongée dans l'univers sonore utérin qui, tout en livrant les clefs des mécanismes langagiers et en révélant les différents facteurs de la spéciation humaine tels que la verticalité et la latéralité, met en évidence les mémorisations embryonnaires et foetales archétypes, autant de processus greffés sur l'évolution programmée de l'appareil auditif dans son cheminement vers la réalisation de l'écoute. De ce vaste champ d'investigation intra-utérin dans lequel nous nous sommes engagés depuis bientôt vingt ans, l'approche analytico synthétique sensori-motrice qui en a découlé nous a permis d'avoir des moyens d'action jusque là méconnus sur la schizophrénie, l'autisme et a fortiori sur les handicaps mineurs, de même que sur certains troubles du comportement comme l'épilepsie.

Vous voilà donc munis maintenant d'éléments d'information suffisamment étayés pour vous permettre d'entrer dans un univers déconcertant de prime abord et en tous cas insolite. Je reste cependant persuadé que vous aurez tôt fait sinon d'en adopter la terminologie, tout au moins d'en retenir les points d'insertion qui, pour la plupart, se rattachent à votre domaine, celui de la musique.

Sans doute la difficulté rencontrée pour appréhender une telle démarche est-elle liée à la résistance que l'on éprouve à s'aventurer dans le labyrinthe auditif et à s'affronter aux arcanes du système nerveux. Et cependant, il faut s'y engager, je dirais même s'y laisser entraîner sans aucune crainte.

Il est évident que le système auditif n'a d'action que parce qu'il est connecté avec le système nerveux. Il me plaît à affirmer que ce dernier lui est en quelque sorte annexé. Il est vrai que la phylogenèse nous aide à maintenir cette hypothèse. Elle nous y conduit avec d'autant plus d'aisance que tout nous révèle dans le cadre d'une étude longitudinale concernant les phénomènes évolutifs, que les organes qui interviennent dans la mise en place de l'oreille en sa fonction vestibulaire et cochléaire précèdent toujours ceux qui vont donner naissance au système nerveux en général. Cette sorte de progression parallèle et conjuguée introduit un jeu dialectique entre les deux formations et c'est à partir d'un tel dialogue que l'on parvient à mieux appréhender la dynamique fonctionnelle structurale de l'ensemble du système nerveux et notamment celle de l'émergence importante de la partie encéphalique.

Quant à l'oreille, elle apparaît sans doute comme un organe complexe, mystérieux, fuyant devant toute investigation poussée, gardant certains de ses mécanismes jalousement enfouis dès que l'on se prend à ne voir en elle que l'appareil de l'écoute; une même démarche se rencontre lorsqu'on s'obstine à considérer la langue uniquement comme un appareil de phonation. Cette dernière joue certes un rôle dans la fonction langagière mais elle est tout d'abord un organe digestif. Une telle conception établie sur des bases anatomiques, embryologiques et physiologiques bien déterminées permet d'instituer une meilleure connaissance des adaptations secondes suscitées par l'acte de la parole.

L'oreille faite de même; elle détient, du moins en première approche, une tout autre fonction que celle qu'on a l'habitude de lui attribuer. L'appareil labyrinthique est bien entendu destiné à l'écoute mais il exerce en premier plan une activité fondamentale sur laquelle il est nécessaire d'insister. En effet, c'est de cette activité première, essentielle, que va dépendre toute la compréhension des mécanismes de l'oreille et des effets de la musique sur la personne humaine.

L'oreille assure la charge corticale. Elle est génératrice d'énergie. Elle a un pouvoir dynamogénique qu'elle détient depuis les temps les plus reculés de la lignée animale. Elle parvient à ces résultats en agissant sur plusieurs plans:

 

  1. Elle centralise, au niveau du vestibule, les informations venant de tout le corps (peau, muscles, articulations et os) par les effecteurs sensitifs dérivés des cellules génératrices de l'oreille, celles de l'organe de Corti en particulier.
  2. Elle induit les postures qui rendent plus efficiente cette centralisation, notamment dans la lutte antigravifique, toujours par le jeu vestibulaire c'est-à-dire au niveau de l'utricule surmonté de ses canaux semi-circulaires, et du saccule.
  3. Elle règle, au sens cybernétique du terme, la fonction d'écoute pour augmenter encore son efficacité, et ceci grâce à l'appareil cochléaire.

Cette incidence de charge est trop importante pour que nous ne nous y attardions pas quelques instants. En effet, cette fonction dynamogénique est fondamentale, bien que quasiment ignorée. Et pourtant elle nous introduit de plain-pied dans notre sujet, celui des effets de la musique sur le corps humain.

Je m'explique : on sait que tout ce qui vit vibre, et que tout ce qui s'organise pour atteindre une participation réflexive à cette présence immanente qu'est la vie manifestée par des rythmes, des cycles, des séquences, s'oriente vers l'élaboration du système nerveux.

Tout ce qui vit émet, au sens le plus ontogénique du terme, sa propre séquence vibratoire, sa propre musique en quelque sorte. Aussi la musique assure-t-elle en retour une action particulière sur cette matière vivante, soit en activant et vivifiant soit en amenuisant et annihilant les fonctions physiologiques vibratoires existantes.

Tout nous démontre actuellement que l'activité du système nerveux est liée au nombre de stimulations qu'il reçoit, le métabolisme n'assurant en somme que la part de maintenance végétative sans pouvoir y associer la dynamique réflexive. Cette dernière, développée à son maximum, va permettre de faire jaillir la conscience dont elle est une embryologique émanation.

Dès lors, être conscient, c'est être, c'est-à-dire participer à l'immense univers qui nous entoure, nous enveloppe, nous invite au dialogue en nous bombardant de mille stimulations.

Pour être plus concrets, nous pouvons nous référer aux derniers travaux scientifiques qui ont été réalisés dans ce domaine et qui ont démontré que le système nerveux humain devait, pour atteindre les niveaux d'éveil, collecter trois milliards de stimuli par seconde au moins quatre heures et demie par jour. Or, c'est par l'intermédiaire de l'oreille et dans une proportion de plus de 90% que cette charge en influx nerveux est assurée.

Quelques précisions sur l'appareil auditif et le système nerveux nous semblent maintenant nécessaires pour mieux comprendre les processus ci-dessus évoqués.

L'oreille humaine est constituée, selon les conceptions classiques, de trois parties : l'oreille externe, l'oreille moyenne et l'oreille interne. Mon opinion consiste à penser qu'il n'existe sur le plan neurophysiologique que deux parties : l'externe et l'interne. Je m'en suis expliqué dans différents ouvrages et notamment dans celui traitant de l'écoute. Pour l'instant et afin de ne pas dépasser le cadre de cet exposé, nous nous occuperons de l'oreille interne. Elle comprend, dans une unique et même enveloppe (la vésicule labyrinthique) deux ensembles ayant apparemment des activités différentes : le vestibule et la cochlée.

  1. Le vestibule, le plus archaïque de ces deux éléments. Il est composé de l'utricule muni de ses canaux semi-circulaires et d'une deuxième poche, le saccule, perpendiculairement appendu dans l'espace à l'utricule.
  2. La cochlée, d'émanation plus récente. Elle s'organise sous le saccule en une forme hélicoïdale limacéenne.

Suivant les conceptions classiques, les rôles attribués à l'un et à l'autre de ces deux éléments faisaient du vestibule un organe spécialisé dans la fonction d'équilibre et de la cochlée un appareil destiné à assurer la reconnaissance des sons. Au cours de ces dernières années, j'ai été conduit à remettre en cause une telle bipartition et à prouver que le vestibule entend plus qu'on ne l'avait supposé auparavant et que la cochlée contribue elle aussi à la fonction d'équilibre. Il s'agit donc d'un seul et même organe dont l'action, sur le plan de l'analyse des mouvements et des déplacements, fait appel à des agencements différents.

Pour que les réponses soient optimalisées, dans les phénomènes de charge par exemple, il est nécessaire que l'ensemble acquière une position spatiale déterminée capable de provoquer une posture corporelle bien définie, la tête dans sa situation posturale entraînant toute la statique et la dynamique corporelle à se conformer à cette attitude favorable. Celle-ci, que nous avons dénommée posture d'écoute, s'instituera de telle sorte que certains sons auront des effets que n'auront pas certains autres. C'est ainsi que les sons riches en harmoniques élevées auront une action énergétisante sur le plan de la capitalisation potentielle : je les ai de la sorte dénommés sons de charge. Par contre d'autres sons situés dans la zone des graves épuiseront les réserves accumulées jusqu'à provoquer parfois l'exténuation totale du sujet qui y est soumis : c'est la raison pour laquelle je les ai dénommés sons de décharge.

Les sons agissent sur le labyrinthe membraneux, lui-même inclus dans la vésicule d'ivoire qu'est le labyrinthe osseux. Le vestibule est mis en activité par les mouvements liquidiens que les sons engendrent en son intérieur. En effet, toute stimulation sonore détermine au niveau de l'utricule et du saccule une pulsation élastique qui se traduit par une mobilisation du liquide dit "endolymphatique" qui emplit le labyrinthe membraneux (en opposition au liquide dénommé "périlymphatique" qui entoure ce dernier). Dans l'utricule, une circulation s'établit compte tenu de la directivité et de l'intensité de la pulsation reçue, circulation qui trouve ses réponses tridimensionnelles en fonction des trois canaux semi-circulaires flanqués sur les parties supérieures et latérales de l'utricule et répondant justement aux trois axes définissant normalement l'espace : horizontal, antéro-postérieur et transverse.

Ceci étant établi, nous dirons que la valeur gestuelle, sémiologique en somme, comme incarnée, des mouvements exécutés tient à deux faits :

  1. 1º en tout premier lieu aux réponses corporelles, grâce à l'innervation irradiante du vestibule en direction du corps;
  2. 2º en second lieu au rappel d'un mouvement antérieurement engrammé et contrôlé par le labyrinthe.

Il est à noter que, dans ce premier temps durant lequel s'installe la mémorisation gestuelle, le liquide endolymphatique opère par son inertie tandis que les parois du labyrinthe sont entraînées avec la coque osseuse par les mouvements de l'ensemble du corps.

Autrement dit, toute impulsion acoustique qui détermine un mouvement des liquides endolymphatiques a la chance d'évoquer en retour l'image mnémoniquement incarnée d'un mouvement corporel antérieurement réalisé. Ceci est d'autant plus vérifié que, du vestibule, part ce que nous avons dénommé un intégrateur. J'appellerai celui-ci intégrateur somatique. Sous le vocable d'intégrateur, j'entends désigner tout le champ neuronique vestibulo-corporel qui comprend, en fait, non seulement les faisceaux vesti-bulo-spinaux mais encore les réponses corporelles sensorielles et musculaires qui concernent l'action vestibulaire à proprement parler. Ceci veut dire qu'une impulsion donnée au vestibule par des sons enclenche, au niveau du corps, une action déterminée, par exemple un rythme introduisant une danse. Nous pouvons donc affirmer que, par les mémorisations vestibulaires et par le jeu intégré des mouvements corporels acquis qui ont eux-mêmes provoqué certains déplacements des liquides labyrinthiques, les évocations vont réveiller dans le corps l'image dynamique du mouvement jusqu'à le lui imposer.

Les ensembles neuroniques mis à contribution par l'intégrateur vestibulaire sont :

  • Les faisceaux vestibulo-spinaux : homo et hétéro-latéraux,
  • les faisceaux vestibulo-cérébelleux, archéo-cérébefleux, en fait,
  • et leurs annexes ou mieux, leurs complémentaires,
  • au niveau du toit cérébelleux,
  • dans les réponses tecto-vestibulo-spinales (par les noyaux de Dieters et de Betcherev),
  • les faisceaux de Fleschig et de Govers qui collectent les réponses sensitives : l'un et l'autre sont en fait homolatéraux malgré le trajet complexe du dernier des deux.

Par l'intermédiaire des projections cérébelleuses, le vestibule peut centraliser, au niveau du relais que constitue le cervelet, toute son action métamérique. Et ceci gr‚ce aux contre-réactions musculaires réalisées par les relais cérébello-spinaux. Pour user d'un langage moins technique, nous dirons qu'il n'existe pas un seul muscle du corps qui ne dépende du vestibule. Cet élément à lui seul permet de mieux comprendre nos conceptions personnelles qui tendent à affirmer que tout son a sa résonance corporelle.

Cette action va d'ailleurs se renforcer au niveau de la prise du corps par l'intervention progressive de l'intégrateur visuel. Celui-ci, partant de la rétine, se projette sur la zone calcaire c'est-à-dire sur l'aire occipitale postérieure, là où se collectent les informations visuelles. Leur engrammation sera d'autant plus finement mémorisée qu'une augmentation de la visée pourra être obtenue. Cette réalisation implique que l'oeil acquiert une mobilité très exceptionnelle. On le voit phylogénétiquement passer de sa situation latérale immobile, monoculaire en somme, vers une binocularité qui va exiger une grande agilité dans les syncinésies qui régleront le couplage de la visée par les deux yeux de manière concomitante. Ce montage particulièrement savant et fort élaboré se fait grâce à l'assujettissement des lllè, IVè et Vlè paires crâniennes auxquelles on peut accessoirement ajouter la Xlè paire qui ira jusqu'à mobiliser la tête si besoin est, afin de permettre au sujet de suivre du regard l'objet situé dans le champ environnant.

Ainsi, grâce à cet intégrateur, l'oeil met à son service une partie musculaire, celle se rapportant aux yeux et au cou. Ceci revient à dire que cet intégrateur utilise pour une part l'intégrateur vestibu-lo-spinal. Il va d'ailleurs en réalité user de ce dernier de manière plus étendue, car tout le corps est appelé à s'adapter pour plonger son regard dans l'univers dans lequel il est conduit à évoluer. Cette prise de conscience de l'environnement est d'une grande importance car elle permet au corps de s'intégrer dans un milieu dont il dépend tout en parvenant à découvrir son individualité. Il existe ainsi un jeu dialectique d'où transparaît, jusqu'à devenir une évidence, le fait que le milieu n'existe que pour autant que l'individu est.

Le jeu de balancement d'objet-objectivant acquérant un pouvoir de cristallisation suffisant pour atteindre le niveau de sujet-objectivant, se renforce lorsque le troisième intégrateur intervient, qui est l'intégrateur cochléaire. Rappelons que les lllè, IVè, Vlè voire Xlè paires sont dirigées intentionnellement par les faisceaux oculo-céphalogyres, émanation du faisceau géniculé c'est-à-dire de la partie née de la frontale postérieure en sa partie inférieure. J'ai dit "intentionnellement dirigé", voulant signifier par là que la volonté intervient par le canal des faisceaux précités tandis que la dynamique automatique des yeux qui anime les nerfs moteurs trouve sa source dans le vestibule par les fibres ascendantes émanant des noyaux de Betcherev et se comportant comme de petits cerveaux primitifs, opérants il est vrai sans intentionnalité.

Enfin, disons que l'intégrateur cochléaire qui est en connexion directe avec l'encéphale (le néoencéphale qu'il précède et qu'il semble induire en sa structuration fonctionnelle) s'empare de tout cet ensemble par les faisceaux cochléo-thalamo-temporaux qui, par retour, s'intra-cérébralisent et par conséquent s'incorporisent par le canal du faisceau de Turck-Meynert. Celui-ci entre alors en connexion avec l'ensemble centre-encéphalique et avec un réseau absolument complet d'inter-réactions. En effet, tandis qu'il s'introduit dans les noyaux pontiques, il rejoint le cervelet en sa partie néoformée ; de là, il gagne le noyau dentelé ou olive cérébelleuse puis rejoint l'écorce cérébrale en plusieurs endroits tout en assurant des lieux de communication avec le noyau rouge et le thalamus qu'il traverse pour atteindre le cortex en des zones extra-pyramidales. Celles-ci fonctionnent elles-mêmes comme des zones motrices sur lesquelles s'élabore la motricité, étant entendu que cette dernière reste au stade des automatismes, toute intentionnalité répondant au champ dynamique plus spécifiquement réservé à la zone pyramidale c'est-à-dire à celle correspondant au frontal ascendant.

Ainsi, ce vaste intégrateur qui part de la cochlée, organe du son, induit l'aire temporale, lieu dans lequel la stimulation auditive, transformée en impulsion neuronique, trouve sa projection. Il active alors la totalité centrencéphalique en permettant à cette dernière de se mixer, au niveau du cervelet, avec l'image du corps antérieurement projetée et fixée par l'intégrateur vestibulaire d'une part (en son paysage intérieur pourrait-on dire) et par le jeu objectai de l'intégrateur visuel d'autre part, en sa projection dans l'espace.

Le vestibule organise ainsi le soma (ou le "ça", en termes analytiques) enrichi de ces diverses activités, notamment de celle se rapportant à la structure de l'image du corps. L'intégrateur visuel contribue à l'insertion de ce ça dans le monde environnant et lui assure sa situation propre, tandis que l'intégrateur cochléaire lui donne la possibilité de connaître sa mesure, ses dimensions, ses limites et lui permet d'accéder au dialogue c'est-à-dire à l'intégration du monde environnant. Il peut alors absorber neuronique-ment celui-ci en engrammant, en encodant acoustiquement dans la totalité du système nerveux ce que chaque objet aurait évoqué dans le corps de manière fugace s'il n'avait eu l'appoint de l'évocation sonore.

À cette fresque neuro-physiologique brièvement évoquée, il convient d'ajouter le système vagal, véritable sonde du système nerveux en direction du sympathique. Rappelons que ce dernier constitue un réseau neuro-végétatif qui assure par sa présence en tous lieux l'ensemble des mécanismes de base : depuis les battements de coeur jusqu'à la respiration en passant par le sommeil, la faim, la reproduction, etc. ... Sans doute pouvons-nous penser que c'est lui qui s'accorde avec les rythmes universels; sans doute est-ce en lui qu'il faudrait retrouver les séquences fondamentales. Ce pré-intégrateur en quelque sorte, bien qu'indépendant jette cependant un pont, une jonction avec le reste du système nerveux grâce au nerf parasympathique ou nerf vagal ou Xè paire crânienne. Connu également sous le nom de pneumogastrique, ce nerf inonde de ses fibres périphériques le conduit auditif externe, le tympan et la caisse de l'oreille moyenne tandis qu'il innerve en même temps tous les tractus viscéraux : pharynx, coeur, poumon, foie, rein, anus. C'est dire l'importance absolument considérable qu'il peut revêtir à l'égard de tout événement sonore, par son action conjuguée ou antagoniste avec le sympathique. Ce collatéral sensori-viscéral qu'est le nerf vagal devrait nous permettre, en fait, de découvrir les rythmes profonds physiologiques qui, sous une autre forme, sont des rythmes cosmiques. Mais son imprégnation en informations de tous ordres, recueillies dés le départ de sa mise en fonction sensori-motrice, va le faire dévier de son orientation première et le doter d'une pesanteur sourde, obscure, mal définie, génératrice d'une incontrôlable angoisse. Par son immense territoire d'innervation, ce nerf nous permet ainsi de comprendre les multiples réponses somatiques que sa mise en fonction, notamment par les sons graves, peut déterminer.

Enfin, nous terminerons cet aperçu neurologique en précisant que tout le système nerveux central est doublé d'accélérateurs et d'inhibiteurs en la matière réticulée qui semble agir, selon nous, par des phénomènes d'induction au niveau des intégrateurs précités.

Ainsi, toute la dynamique de ces intégrateurs ne pourra se manifester que par la mise en activité correcte de l'ensemble neuronique que nous venons d'évoquer. Grâce aux mouvements exécutés et compte tenu de leurs mémorisations collectées sous forme de rythmes, de cadences, de séquences, le vestibule va introduire une image sensitivo-motrice, charnelle au sens vrai du terme, de l'instrument corporel. L'association oeil-vestibule organisera la plongée de ce corps dans le monde environnant et éveillera en lui la connaissance de ses positions relatives. Enfin, l'intégrateur cochléaire donnera une teinte finale en accordant un sens à ces rythmes, une valeur à ces cadences, une signification à ces séquences ... Il préparera ainsi l'être à la compréhension du langage, de ce langage qui, pour être enfin absorbé et écouté, devra attendre que les mécanismes précités soient entièrement mis en place.

Comme il m'a été donné souvent l'occasion de le dire, c'est l'univers qui module et qui parle. A son niveau, tout est musique et tout est langage. La difficulté va consister à préparer le corps humain à atteindre le plan où s'instaure ce dialogue.

C'est en cela que la musique occupe une place essentielle. Elle n'est pas une simple fantaisie, un message réservé à une élite, le fruit d'une culture.

Elle est une nécessité.

Elle favorise les cristallisations des différentes phases structurales fonctionnelles du système nerveux.

Elle opère la réalisation maximalisée des charges liées aux stimuli, par les jeux cinétique, statique, anti-gravifique, etc.

Elle prépare au chant et à l'expression corporelle l'être humain qui s'en est laissé imprégner.

Elle est, du moins est-ce là ma conviction, préexistante au langage lui-même, comme élément structurant prenant le corps en sa totalité afin de le modeler en une architecture verbalisante. C'est de la musique que naissent les rythmes et les intonations propres aux processus langagiers.

Comme on le voit, la musique commence là-même où le mystère s'instaure, nous laissant seulement deviner que le monde sonore est essentiellement appelé à traduire, en sa réponse existentielle, le silence vibrant et chantant de l'inaudible sous-jasent, manifestation incontestable d'une réalité à nos sens inaccessible. Tout comme le visible nous révèle l'invisible qui le sous-tend et le sculpte, la musique répond au chant d'un cosmos se mouvant au rythme d'une harmonie qui se livre généreusement à quelques élus chargés de transformer en sons audibles les messages sonores que leur aura livrés l'univers.

Mais encore faudra-t-il respecter certaines règles répondant aux exigences d'un système nerveux préalablement codé par son inducteur essentiel qui s'avère être, comme on l'a vu, l'appareil auditif. Si bien que nous pourrons affirmer que tout être en voie d'humanisation est une oreille c'est-à-dire une antenne à auscultation de l'environnement dans lequel il est plongé. La musique demeure incontestablement le mode le plus affiné pour mettre cette ambiance en résonance.

Sans doute est-ce à ce niveau qu'il serait bon de définir ce qu'est la musique. Si le musicien, le théoricien en la matière, nous permettait quelque incursion dans son domaine, nous saurions murmurer aussi discrètement que possible afin de ne pas mériter l'estampille d'hérésie qu'il y a d'abord la musique, puis les musiques, ensuite des langages sonores et enfin des expériences acoustiques.

La musique agit par ses effets d'harmonisation intérieure c'est-à-dire par l'exploitation des modes primitifs. En cela d'ailleurs elle me paraît être "essentielle". Elle suscite et éveille jusqu'à les rendre en quelque sorte tangibles les modulations propres du système sympathique.

Les musiques, en deuxième lignée, sont les agencements sonores qui savent surajouter à ces modes de base, des rythmes de la vie extérieure, ceux mêmes introduits par la société et la culture, qui vont du geste jusqu'au langage, et qui concernent en fait toute la gestuelle. On reconnaît comme premiers générateurs de ces musiques les éléments folkloriques.

Les langages sonores qui s'inscrivent ensuite font revivre concrètement les états émotionnels en imbriquant tout à la fois les sonorités évocatives d'accents perçus et engrammés dans les noyaux affectifs centrencéphaliques qui président à la vie neuro-végétative, et les rythmes entraînant le corps hors des codages normalisés antérieurement. Il en découle une structure narrative, à sémiologie sonore, qui s'exprime sur le corps dans toute sa dynamique externe et interne.

Enfin, il existe des expériences acoustiques. Il est aisé de percevoir le niveau qu'il faut atteindre pour les appréhender, hors de toute conception d'écoute. Elles ont le mérite d'introduire dans le monde sonore des objets acoustiques nouveaux. Ces derniers devront à leur tour, pour être transcrits en mémorisation corporelle, répondre aux données intrinsèques du système nerveux : sans cela, quelle que soit la beauté qu'ils représentent pour l'auteur, ils n'auront aucune chance de pouvoir être intégrés dans une universalité neuronique.

Cette incursion dans le monde sonore nous permet de penser qu'il est nécessaire de bien distinguer les différentes expressions musicales et d'en déterminer les effets neuro-psycho-physiologiques. C'est à ce niveau que notre spécialité, l'audio-psycho-phonologie, intervient d'une façon déterminante en vue d'isoler et par là de mieux appréhender les effets des sons et plus expressément de la musique sur l'organisme humain.

L'action dynamogénique de l'oreille est mise en valeur grâce à des montages électroniques capables de susciter la posture d'écoute en privilégiant les sons qui s'inscrivent dans un volume sonore dont la forme et la densité répondent aux normes des cellules de l'organe de Corti. La musique (une certaine musique) intervient alors au sein d'une programmation sonique tenant compte des processus évolutifs qui, depuis la vie intra-utérine, doivent mener l'oreille vers l'écoute et plus précisément vers l'écoute du langage. Un apprêt neuronique s'avère indispensable pour mettre en place les trains d'ondes impulsionnels appelés à véhiculer ultérieurement les informations sémantiques. Ce codage primordial, fondamental, vecteur essentiel d'une intégration acoustique harmonieuse répartie dans l'ensemble du système nerveux et par là dans tout le soma, permettra d'induire les postures, notamment la verticalité, de répartir de manière homogène la tonicité sur tout le corps mis à l'écoute, de le sculpter en somme pour qu'il devienne une antenne réceptrice vibrant à l'unisson de la source sonore, qu'elle soit musicale ou langagière.

Pour être plus concret, je propose d'indiquer en quelques lignes comment nous procédons en matière de pédagogie de l'écoute. A l'aide de montages électroniques, nous faisons revivre la période auditive intra-utérine, principalement à partir de la voix de la mère qui a été enregistrée puis filtrée au-delà de 8000 Hz en vue de supprimer toute information sémantique et de restituer uniquement la charge affective qui viendra susciter, accélérer ou redonner au sujet le désir de communiquer, le désir de vivre. C'est à travers des appareils utilisant des bascules électroniques qui entraînent l'oreille à s'accommoder à l'écoute que ces messages sont transmis.

Après cette phase que nous considérons comme primordiale, nous procédons à un accouchement sonique reproduisant en fait l'événement de la naissance sur le plan acoustique et permettant au sujet de quitter l'audition foetale pour s'adapter désormais et pleinement à l'audition aérienne. C'est avec la voix de la mère que nous agissons en la défiltrante progressivement au travers de l'Oreille électronique. Lorsque la voix maternelle ne peut être utilisée (pour différentes raisons sur lesquelles il nous est impossible d'insister, faute de temps), nous procédons à ce déconditionnement à l'aide de sons musicaux. Après une longue expérience clinique et de nombreux essais en laboratoire, nous avons choisi électivement la musique de Mozart (surtout les pièces pour violon) car elle seule nous donne des résultats étonnants, toujours positifs, dans tous les coins du monde et quelle que soit l'ethnie qui se trouve concernée. C'est en cela que nous pouvons dire de la musique de Mozart qu'elle est universelle. Ce grand compositeur était sans doute directement branché sur les rythmes cosmiques qu'il a su transcrire au travers d'un système nerveux dépourvu de toute imprégnation égotique.

Mozart, retransmis en sons filtrés (c'est-à-dire en sons intra-utérins) et écouté sous Oreille Electronique, devient ainsi un vecteur d'harmonisation, de dynamisation, d'éveil et de créativité. Les réponses sont immédiates : le sujet s'active, modifie ses références neurovégétatives, voit sa respiration s'amplifier, son pouls s'accélérer. Il manifeste un désir de communiquer avec son environnement. Sa posture se transforme également et devient celle de l'écoute. Cette musique agit tout particulièrement sur les fléchisseurs.

Après l'accouchement sonique et avant d'introduire le sujet dans un univers sémantique qui risque d'être psychanalytiquement chargé de blocages affectifs (qui ont suscité notre intervention de thérapeute), nous continuons d'utiliser la musique pendant une longue période pré-linguistique qui va permettre au sujet de se préparer au dialogue avec l'autre. Pendant cette phase, nous utilisons trois sortes de sons musicaux : Mozart, le grégorien et les comptines, tandis que nous entraînons l'oreille droite à devenir prédominante. La latéralité s'institue sur une dextralité dont j'ai évoqué les principaux effets dans plusieurs ouvrages.

Pourquoi Mozart, pourquoi le grégorien, pourquoi les comptines ? Il y aurait beaucoup à dire sur ces différents choix. Il reste surtout à constater que, sur des dizaines de milliers de cas (pathologiques et normaux) les réponses neuro-psycho-physiologiques ont largement dépassé les scores déjà atteints par les techniques habituellement utilisées. Pour Mozart, comme je l'ai déjà indiqué, les pièces pour violon (contenant donc de nombreuses séquences riches en sons aigus) sont plus efficaces. Quant au grégorien, les modulations du type «Solesmes» établies par Dom Gajard constituent des éléments de choix. En effet, le répertoire transmis par cet infatigable et génial chercheur détient une universalité et une efficacité pédagogique et thérapeutique incontestable. A l'inverse de la musique de Mozart, le grégorien apaise, calment le coeur et la respiration en même temps qu'il sollicite la verticalité, agissant électivement sur les extenseurs.

Pour les enfants, en même temps que les deux éléments sonores précédemment évoqués, nous faisons passer des comptines de l'ethnie à laquelle appartient l'enfant. Ceci est très important et nous révèle à quel point ces chansons d'enfants qui ont traversé les siècles constituent les bases mêmes de la langue qui sera plus tard utilisée comme moyen de communication. Elles contiennent les éléments structurants folkloriques du futur langage. Les comptines allemandes ou espagnoles par exemple ne peuvent en aucun cas être appliquées à l'éducation ou à la rééducation des petits Français. Les rythmes de base correspondant à des codages neuroniques différents restent spécifiques de chaque ethnie. Et même au sein d'une même lingualité (la francophonie par exemple), les comptines constituent des éléments particuliers ne pouvant être utilisés d'un pays à l'autre. Par ailleurs, pour les enfants présentant des troubles profonds de la personnalité (autisme, schizophrénie ...), nous faisons passer tout d'abord des comptines sur des la-la-la sans valeur sémantique, afin de ne pas projeter l'enfant dans une dynamique linguistique qu'il a jusqu'à présent refusée. Les rythmes que contiennent les comptines vont le préparer à accepter progressivement le langage avec ses incidences psycho-affectives susceptibles de transformer son univers relationnel.

Dès lors, après cette minutieuse préparation, le système nerveux redevenu réseau intégrateur libre et libéré, sera capable de recevoir le montage linguistique dont l'enfant ou l'adulte pourra se servir dans un but de totale communication avec son environnement. Les processus d'intégration et d'apprentissage seront de la sorte réactivés et permettront au sujet de bénéficier de toutes ses potentialités. Toujours sous Oreille Electronique, nous proposons alors à l'individu des mots riches en fréquences aiguës (des sifflantes) et filtrées progressivement de 500 en 500 Hz jusqu'à 7 ou 8000 Hz, c'est-à-dire jusqu'au moment où il retrouve la relation acoustique qu'il avait précédemment engrammée. Ces séances sont alternées avec des séances de musique filtrée et de chant grégorien. Elles font intervenir les circuits audio-vocaux contrôlés par l'oreille droite c'est-à-dire empruntant l'itinéraire le plus court en matière d'impulsion neuronique.

Voici le moment de conclure. Qu'allons-nous pouvoir retenir de ce long exposé centré sur des données scientifiques qui semblent parfois fort éloignées de la musique elle-même en sa puissance créatrice ? Que l'on me pardonne cette approche quelque peu rébarbative et par trop spécialisée mais qu'il me soit donné, pour terminer, de m'adresser au musicien en abordant avec lui la notion de sa responsabilité.

Capable de résonner aux accents d'une mystérieuse induction il doit, par le choix des compositions qu'il réalise, par la façon dont il use de son art, par la subtilité avec laquelle il apprête ses modulations, pouvoir communiquer intimement avec celui qui se trouve à l'autre bout de la chaîne et dont le corps tout entier demeure à l'écoute de ce vibrant message. Son don de créativité lui est offert pour qu'il mette au service de l'autre cette manne qui lui est si généreusement dispensée. Il doit prendre conscience du rôle essentiel qu'il est appelé à jouer auprès de chaque être humain afin de le conduire vers sa réalité linguistique. La musique, en effet, constitue le meilleur moyen de préparer les voies sur lesquelles s'instaurera le langage.

Elle est, en son essence, cette vibration première qui met en résonance le système nerveux humain, substrat de tous les mécanismes appelés à activer le corps et l'âme. Par ses modulations, elle peut aider à façonner l'être humain en ses composantes physiques, mentales et spirituelles. Par ses accents, elle peut dégager de ses entraves celui qui se trouve enserré dans les rets qu'aura tissés l'existence. Elle est le fondement même du chant qui psalmodie la libération de l'être en proie à l'angoisse de vivre. Elle est un don gratuit étrangement et merveilleusement offert pour que l'homme s'élève jusqu'à sa véritable condition humaine.

La musique détient ainsi un caractère universel mis au service de tous. Et le musicien doit en permanence garder à l'esprit qu'il ne compose pas ou qu'il ne joue pas de la musique pour lui seul ni pour plaire essentiellement à un cercle d'initiés, sorte d'assemblée privilégiée réunie autour d'une même culture. Il est là pour dispenser à tous ce don musical qu'il a si généreusement reçu, au-delà même des dimensions humaines.

C'est dire combien sa responsabilité est grande, combien ses pouvoirs sont étendus. Et rien ne doit lui permettre d'en user abusivement et de créer en toute liberté des montages sonores qui transgressent les lois de l'harmonie, celles qui régissent la marche du monde et constituent la base même des réponses neuro-physiologiques de tout être humain. Par son action, par sa vigilance, par ses luttes et ses combats, il doit rester attentif à ces lois dont l'universalité reste le critère structurant neurologique par excellence. Je fais bien entendu allusion à ces compositions aberrantes qui sont de véritables drogues soniques destinées à asservir des générations de jeunes en détruisant leur système nerveux d'une façon parfois définitive.

L'appel que je lance aux musiciens de notre temps en évoquant la puissance et les dangers de l'émission créatrice ne doit pas faire oublier celui qu'il faut adresser aux spécialistes chargés d'assurer la qualité de réception du message musical au niveau du système nerveux destiné à le percevoir. De même qu'il ne sert à rien de présenter des toiles de maître à des enfants démunis de vision ou non désireux de voir et encore moins de regarder, de même il est inutile d'abreuver les oreilles des enfants d'une musique dont on connaît toute la beauté et dont on apprécie l'insondable richesse, si ces jeunes présumés auditeurs sont dépourvus d'une véritable écoute.

Il est dans notre pouvoir à l'heure actuelle, je le rappelle, non seulement de mesurer les potentialités d'écoute mais aussi de les modifier pour en augmenter l'efficacité. Si bien qu'il est possible, avant d'accorder les instruments alors même qu'on s'apprête à en jouer, d'accorder nos oreilles afin de bénéficier, au-delà du désir d'entendre rétabli, de la faculté d'intégrer, de s'imbiber de ce message jusqu'à l'incarner.

Ai-je assez insisté sur la nécessité de connaître et de mesurer les effets de la musique sur l'organisme humain, afin de mieux saisir la portée que peut avoir toute composition musicale, qu'on se place d'un point de vue éducatif et culturel ou que l'on s'adresse à des critères thérapeutiques.

Il me serait agréable de terminer cette conférence en émettant un voeu : celui de voir se constituer, au sein de i'ISME, des groupes de recherches destinés à étudier en profondeur les problèmes inhérents aux orientations d'ordre psychologique et psychanalytique que prennent certains spécialistes ouverts aux investigations fondamentales en matière de neurologie et de neurophysiologie. Ces équipes, travaillant en collaboration avec ceux dont le souci reste et doit rester celui de créer et de produire de la musique, permettront ainsi de recueillir, dans cet énorme réservoir humain qu'est le monde d'aujourd'hui, les énergies nécessaires à la mise en place de vastes moyens éducatifs et thérapeutiques, réservés jusqu'à présent à quelques élites à peine conscientes de ce qu'elles possèdent.

J'aimerais ajouter enfin quelques mots qui voudraient être des notes de musique : que les organisateurs de ce congrès trouvent ici nos chaleureux compliments pour l'énorme effort dont ils ont fait preuve afin de mener à bien une rencontre aussi dense et aussi enrichissante. Qu'il me soit permis de manifester publiquement ma reconnaissance à Madame Blanche Leduc, présidente de la Section française de l'ISME, pour son immense travail, discrètement assumé jusqu'à l'effacement. C'est à elle que je dois l'honneur d'être aujourd'hui parmi vous.

Merci de votre attention.

 

Dr. Alfred A. Tomatis

XIII Congrès de l'ISME (International Society for Music Education) London (Canada)

Août 1978